Depuis au moins une décennie, aussi bien au niveau français qu'européen, les acteurs publics de la recherche scientifique souhaitent développer un politique de mise en accès ouvert, c'est-à-dire gratuit, des travaux de recherche et notamment des articles scientifiques traditionnellement publiés par les éditeurs aussi bien en sciences dites dures (STM ou Sciences, techniques et médecine) qu'en sciences humaines et sociales (SHS). Le développement de ces politiques inquiète les éditeurs alors qu'elle remet en cause leurs modèles économiques.
Dans ce contexte, M. Olivier JAPIOT, président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), a confié à M. Maxime BOUTRON, maître des requêtes au Conseil d'Etat, une mission visant à examiner les conditions du développement de cette politique et ses éventuelles conséquences au regard de la propriété littéraire et artistique.
Les politiques de "'science ouverte' ont pour objectif la diffusion sans entrave des résultats, des méthodes et des produits de la recherche scientifique" indique le CSPLA ; les pouvoirs publics s'intéressant plus particulièrement aux recherches financées sur fonds publics. L'un des principaux instruments aujourd'hui mobilisés au service de la "science ouverte" est l'accès ouvert, ou Open Access, qui consiste à rendre accessible gratuitement les publications scientifiques sur Internet et à faciliter leur exploitation, notamment à des fins de recherche.
La loi pour une République numérique de 2016 avait traduit pour la première fois législativement cette volonté en cherchant à trouver un équilibre entre la nécessité de préserver la viabilité économique des éditeurs et la volonté de développer l'accès ouvert. La loi garantit ainsi le droit des chercheurs à déposer sous forme numérique leurs articles financés majoritairement sur fonds publics dans une archive ouverte à l'expiration d'un délai courant à compter de la date de la première publication de l'article. Il s'agit d'un embargo avant publication en accès gratuit de 6 mois pour les STM et de 12 mois pour les SHS. "La loi préserve par ailleurs les droits d'auteur des chercheurs puisqu'elle leur laisse la liberté de ne pas exercer la faculté de mettre en accès libre leurs articles" rappelle le communiqué du CSPLA.
Alors que cette loi préservait ainsi la liberté des chercheurs, une initiative du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche portée par le Comité pour la science ouverte (COSO) a ravivée l'inquiétude des éditeurs. En juillet dernier, le COSO a commencé à promouvoir auprès des chercheurs une stratégie de non-cession des droits sur les publications scientifiques. Il s'agit d'appliquer une licence libre (généralement une licence Creative Commons CC-BY) au manuscrit soumis à l'éditeur ainsi qu'à "toutes ses versions successives jusqu'au manuscrit auteur accepté pour publication". L'application de cette licence permet alors la diffusion immédiatement, sans respecter les embargos de 6 et 12 mois, de la dernière version du manuscrit dans une archive ouverte en accès libre. La dernière version du manuscrit est celle acceptée par l'éditeur qui a organisé le travail d'évaluation et de révision par les pairs et va permettre de valoriser l'article en l'associant au titre de la publication et à la marque de l'éditeur.
Dans ce contexte, la mission confiée à M. BOUTRON sur la politique d'accès ouvert vise à "examiner les modalités de mise en œuvre du cadre législatif et règlementaire actuel, d'analyser les propositions d'évolution de ce cadre qui sont actuellement avancées, en France ou au niveau de l'Union européenne, et d'évaluer leurs conséquences sur la propriété littéraire et artistique, et notamment sur la possibilité pour les auteurs chercheurs de maîtriser la forme sous laquelle leurs publications sont rendues disponibles".
Rappelons que le médiateur du livre Jean-Philippe MOCHON a rendu public un projet d'avis sur l'édition scientifique 'cf. CP du 14/03/2022) et que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a adopté un rapport sur le sujet (cf. CP du 11/03/2022) intitulé "Pour une science ouverte réaliste, équilibrée et respectueuse de la liberté académique".
Ancien directeur financier et juridique au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et ancien directeur adjoint au cabinet de M. Christian ECKERT, secrétaire d'Etat chargé du Budget et des Comptes publics), M. Maxime BOUTRON sera assisté d'un rapporteur en la personne de M. Alexandre TREMOLIERE, maître des requêtes au Conseil d'Etat, ancien conseiller pour les questions juridiques au Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). Ils devront rendre leur rapport "d'ici la fin de l'année 2023".