Passant la première devant le collège de l'Arcom avec son projet stratégique "Réconcilier", l'actuelle présidente-directrice générale de France Télévisions Delphine ERNOTTE CUNCI a défendu la nécessité "de passer le poids du corps du linéaire vers le numérique" via une nouvelle organisation ainsi que cinq priorités.
"La télévision publique a une histoire riche et dense. (…) Je suis candidate pour bâtir son avenir", a lancé à l'Arcom lundi Mme ERNOTTE CUNCI. Vantant la stabilité de la direction du groupe audiovisuel public qu'elle incarne depuis dix ans, elle estime que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en lui "donnant le temps d'agir" lui a "confié la meilleure aide pour l'action, la continuité". "Le management au fond, c'est la gestion du temps. Il faut avoir les yeux rivés sur le lointain et gérer les urgences du quotidien", a-t-elle poursuivi.
"Il est impératif de rester contemporain dans une époque chahutée"
Dressant le bilan, elle soutient qu'"en quelques années, France Télévisions a fait sa mutation numérique, a fait évoluer son offre, a épousé son époque. (…) Malgré les budgets réduits et les économies nécessaires, l'entreprise a su s'adapter". Alors que plusieurs indicateurs d'audiences linéaire et numérique le démontrent, elle souhaite continuer à accompagner le groupe public face aux défis actuels. "J'ai une conviction inébranlable. Il est impératif de rester contemporain dans une époque chahutée et de nous adapter dans un moment crucial. Quand le chaos n'est pas loin, le sens de la mesure est plus important encore."
Face à l'évolution des modes de consommation qui se délinéarisent de plus en plus au profit du numérique, Mme ERNOTTE CUNCI veut "faire pivoter France Télévisions. (…) L'objectif, c'est de passer le poids du corps du linéaire vers le numérique et de penser d'abord les contenus pour la plateforme France.tv", dont elle juge la réussite "indiscutable" avec en avril 39 millions de visiteurs uniques mensuels et plus de 4 millions de visiteurs quotidiens.
Cela se traduit par une nouvelle organisation de France Télévisions où le numérique serait pensé avant le linéaire. "Ça veut dire que dès la conception des contenus, que ce soit de l'info ou des programmes, il faut intégrer des formats et un mode de distribution qui sont différents. Sans faire en sorte que la direction du numérique, qui est aujourd'hui une direction à part entière, n'essaime dans toute la direction des antennes et des programmes, ça me semble compliqué."
Une nouvelle "philosophie d'organisation" avec notamment deux pôles
Prévenant qu'il ne s'agit pas d'"un schéma d'organisation" tout fait mais d'"une philosophie d'organisation" où les contours seront débattus et définis avec les équipes, Mme ERNOTTE CUNCI soutient dans le même temps dans son projet stratégique une structuration en deux pôles : un "Pôle Premium" qui "aura pour mission de faire des offres linéaires une vitrine qui rassemble le meilleur du service public, avec un niveau d'exigence et de singularité accru", et qui "regroupera l'ensemble des expertises dédiées au direct, tant en production, en événementialisation qu'en programmation, à destination de l'ensemble des canaux".
Le deuxième, le "Pôle Créatif", "aura la responsabilité de choisir les contenus à destination prioritaire du streaming et en anticipant dès l'amont les opportunités de distribution adaptées à chaque contenu, chaque public et chaque canal", et qui "s'appuiera sur une organisation par nature de mission éditoriale et non plus par genre de programmes", en réunissant "les expertises éditoriales, de distribution, de marketing et mobilisera particulièrement les innovations technologiques et l'analyse de la data". La PDG confie à ce pôle "la recherche des talents et formes narratives nouvelles".
"Il s'agit ainsi d'organiser la transition d'un rôle principal de mass média, s'adressant à une audience monolithique, vers un nouveau modèle qui place les publics et leurs centres d'intérêt en son cœur", résume-t-elle, le tout sous la marque unique France.tv, en cours de déploiement sur les antennes linéaires (cf. CP du 26/03/2025), et qui est depuis mai 2017 celle de la plateforme numérique.
Vers une plateforme hybride unique ? ; "Les résultats de franceinfo se font encore attendre"
Cette dernière deviendra hybride : "de plateforme vidéo, elle a vocation à devenir demain l'application capable d'accueillir tous les usages média qui ont cours sur l'écran de télévision du foyer comme sur les écrans mobiles".
"Demain, sur France.tv, chacun pourra regarder des vidéos longues ou verticales, lire un article, écouter des podcasts ou jouer. La plateforme s'ouvrira aussi à une plus grande intervention des publics avec une capacité à commenter et à interagir avec le contenu", écrit-elle dans son projet. Une volonté d'unifier les plateformes contenus et d'information sur laquelle travaille le groupe public depuis plusieurs années pour trouver la bonne formule. Une plateforme de contenus payante à l'international est aussi envisagée.
Ce changement de paradigme figure en deuxième position parmi les "cinq priorités" qui seraient mises en place "dès le 22 août et avant la fin de l'année". La première concerne franceinfo "qui connaîtra un plan d'action renforcé avec de nouveaux moyens, une grille augmentée, un nouveau studio". Une évolution attendue à la rentrée alors que la chaîne créée en 2016 bascule le 6 juin sur le canal 16 de la TNT.
"Force est de constater que la place de la chaîne n'est pas aujourd'hui à la hauteur des ambitions du premier groupe audiovisuel français", reconnait Mme ERNOTTE CUNCI dans son projet. "Nos résultats se font encore attendre", a-t-elle poursuivi devant l'Arcom. "Il nous faut à la fois mieux converger avec nos partenaires de l'audiovisuel et mieux réussir l'intégration de la chaîne à la rédaction de France Télévisions. La chaîne d'information continue a été trop longtemps vécue comme un appendice. Elle doit maintenant être le cœur de l'information de France Télévisions."
Refonte de l'offre politique ; bascule des contenus locaux de franceinfo.fr vers ICI
La troisième priorité vise à "mettre en place une refonte de notre offre politique avec en perspective l'échéance éditoriale de 2027 et d'y associer plus largement les citoyens". "Alors que s'accroit la fatigue démocratique, c'est à l'audiovisuel public de renforcer le lien entre les citoyens et les politiques par des émissions régulières et adaptées. Ailleurs en Europe, les campagnes se passent désormais sur TikTok, ce qui nous met au défi de réinventer les formats de l'expression politique", en s'inspirant par exemple des conventions citoyennes.
Cela répond également, selon elle, à "l'attente la plus forte" : celle de "l'horizontalité". "Hier, avec une offre limitée, la parole venait du haut vers le bas, du sachant vers l'apprenant, de Paris vers les régions, du centre vers la périphérie. Cette époque est révolue. Les publics ont un choix quasiment illimité. Ils ne sont plus seulement spectateurs. Ils sont devenus acteurs des médias et parfois médias eux-mêmes."
La quatrième priorité fixée est de "basculer les contenus régionaux de Franceinfo vers la plateforme ICI en clarifiant la promesse de cette offre vers un contenu uniquement local dès les prochains mois afin de gagner en succès". "Le rapprochement entre France 3 et France Bleu n'est pas une exigence économique, c'est un impératif démocratique", a-t-elle insisté devant l'Arcom. "Je m'engage à concentrer toute l'offre locale de France Télévisions sur la plateforme ICI. Il faut se rapprocher pour disposer de rédactions tri-médias performantes. En allégeant les modes de production, nous pourrons mieux nous déployer et mieux couvrir le territoire".
"Je crois même que le chemin que nous avons parcouru depuis toutes ces années mène naturellement au rapprochement"
Enfin, la cinquième priorité sera "de rebâtir un plan de coopération avec les partenaires de l'audiovisuel public en s'appuyant sur les conclusions de la mission Bloch". Pour rappel, cette dernière, confiée à Mme Laurence BLOCH et initiée par le ministère de la Culture, vise à accompagner la réforme de gouvernance de l'audiovisuel public (cf. CP du 11/03/2025).
A cette occasion Mme ERNOTTE CUNCI a réaffirmé sa conviction : "Depuis le premier jour de mon action, je suis favorable au rapprochement. Je l'ai été pour Franceinfo ou pour que France 3 et France Bleu deviennent ICI. Je crois même que le chemin que nous avons parcouru depuis toutes ces années mène naturellement au rapprochement en adaptant les structures, en mettant le numérique au cœur, en réduisant nos coûts, nous nous sommes préparés ces dernières années à une holding ou à une fusion".
Parlant de la structure, elle est revenue sur le budget 2025, présenté pour la première fois "à contre-cœur" en déficit (cf. CP du 14/03/2025). "Nous devons y remédier dans les plus brefs délais. Une entreprise publique se doit d'être à l'équilibre." Parmi les pistes de nouvelles économies qu'elle évoque figurent les coûts de production. "Pour pouvoir produire autant, il nous faudra produire moins cher. Les évolutions technologiques vont nous y aider. Des moyens techniques plus légers et l'automatisation nous ouvrent de nouvelles possibilités. L'intelligence artificielle va redéfinir les contours de la production. A nous d'en tirer le meilleur profit en préservant les savoirfaire. Cette réalité s'impose à tous, aux producteurs comme aux salariés."
Vers la polycompétence des salariés ; un troisième mandat "passage de témoins"
Souhaitant protéger les investissements dans la création, Mme ERNOTTE CUNCI affirme qu'"il faut impérativement qu'on retravaille notre façon de de fonctionner" et évoque la réforme de l'accord collectif signé en 2013. "Il va falloir travailler une bonne fois pour toute pour rompre avec ce qui nous freine et aller vraiment vers de la polycompétence. (…) L'accord de 2013 a permis l'entreprise unique mais nous somme douze ans plus tard, les métiers ont changé, les technologies ont changé, l'intelligence artificielle est partout et le sera encore plus demain. Donc il va falloir qu'on redéfinisse le cadre des métiers". Un état des lieux était en cours début 2024 (cf. CP du 12/02/2024).
Signe qu'elle ne compte pas postuler pour un quatrième tour de piste ou qu'elle vise plus haut et la potentielle future holding, Mme ERNOTTE CUNCI entend faire de ce mandat "celui du passage de témoins à une nouvelle génération" en faisant de la télévision publique "un point de repère, une balise". (…) Je souhaite que parmi les jeunes qui entrent aujourd'hui dans le monde du travail, venir bâtir la télévision de demain soit prometteur et que parmi eux émergent les managers et les décideurs qui gouverneront l'entreprise demain".